Toutes mes actions artistiques s'articulent autour d'une question ultime : quelle est la vérité de l’univers ? Cette question trouve son origine dans mon enfance. Je suis née dans une famille bouddhiste et, chaque matin, je me réveillais au son des prières récitées par ma grand-mère. Cette expérience primordiale a semé une graine dans ma vie, non pas au sens religieux ou doctrinal, mais dans le fait que le bouddhisme, en tant que système de décryptage de la vérité du monde, m’a profondément marquée.
À l’adolescence, j’ai traversé de nombreux bouleversements : les tentatives de suicide répétées de ma mère, le décès de mon grand-père, des changements de vie radicaux. C'est aussi à cette époque que j'ai découvert l’astrologie occidentale et le Yi Jing chinois. Cette curiosité pour la douleur de l’existence humaine et ses mystères est devenue le moteur de ma création.
Les tentatives de suicide de ma mère ont, sans aucun doute, constitué l’archétype du « trou noir » dans ma pensée artistique. En tant que non-francophone, lorsque j'ai vu le titre du livre de Blanchot, L'Arrêt de mort, j'ai éprouvé une sensation très similaire. Après mon arrivée en France, j’ai découvert la psychanalyse, en particulier la pensée post-freudienne et lacanienne, qui m’a profondément influencée. Mon travail semble traversé par des recherches transdisciplinaires, mais en réalité, il dissimule une autobiographie indicible. « Maman, pourquoi m’as-tu mise au monde ? Pourquoi dois-je exister ? » Ces questions, impossibles à prononcer, se sont transformées dans mon processus de création en : « Pourquoi le monde existe-t-il ? Tout cela est-il réel ? » Si tu es arrivé(e) jusqu’ici et que tu regardes ensuite mon travail, tu verras des ruines, des déluges, des espèces éteintes, des tombes, des mer(mère), des morts impossibles, des échecs de connaissance… Ces symboles traumatiques sont une tentative de me libérer de l'abîme de mon histoire personnelle. Mais je ne veux pas parler directement de moi-même dans mes œuvres.
La mort me regarde, me forçant à dire quelque chose. Mais je découvre que les sentiments les plus douloureux sont impossibles à exprimer par les mots. Ainsi, l’art est naturellement devenu mon moyen de me sauver.
La seule manière de me libérer du traumatisme du regard du « trou noir » est d’apprendre, méditer, créer et déplacer mon attention de moi-même vers le monde dans toute son immensité, jusqu'à inclure tous les phénomènes qu’il englobe. Je ne me définis pas comme un mystique ou un agnostique. Au contraire, je préfère naviguer entre différents domaines. Par exemple, en tant que bouddhiste, je trouve fascinantes les similitudes entre le Sūtra du Diamant et la théorie de la mécanique quantique — toutes deux éclairent ma compréhension à différents niveaux. La cosmologie, l’astrophysique et l’archéologie me fascinent. L’époque de haute technologie dans laquelle nous vivons me permet d’intégrer le naturel et l’artificiel dans mon travail, générant ainsi des collisions de possibles, mais aussi la révélation des impossibilités de connaître la vérité du monde. Je ne cherche pas à invalider la légitimité du discours scientifique, mais je ressens la nécessité de dévoiler les fissures potentielles dans tout discours de pouvoir. L’humanité abuse du pouvoir, et lorsqu’un domaine semble parvenir à une complétude apparente, lorsqu’une figure est consacrée comme un « maître », cela occulte toute possibilité de toucher au réel.
En tant qu’êtres contemporains, mesurant notre existence à l’échelle de l’Anthropocène, sommes-nous prêts à reconnaître qu’avant même la formation du langage humain, des secousses antiques – indétectables par toute technologie moderne – ont pu se produire ? Leur intensité et leur certitude rivalisaient avec les processus mêmes qui ont façonné la Terre, et pourtant, faute d’archives et d’inscription dans l’histoire, elles existent comme des trous noirs.
Ces événements que nous appelons "mythes" sont comme une fissure profonde dans les strates sédimentaires de l’Histoire. Mais sans réflexion sur cette faille, face à la crise écologique actuelle, il est difficile de nier que nous marchons vers une fin du monde semblable au "déluge" – guerre, épidémie, intelligence artificielle… Le savoir sur l’origine du monde est aussi urgent que le langage qui décrit sa destruction.
Or, en tant qu’individu, en tant que "sujet", supposons qu’un sujet psychotique devienne artiste ou criminel – toutes ses actions naissent d’un vide de nomination. Peut-on alors situer l’agent de ces actes dans un effondrement qui aurait déjà eu lieu avant même sa naissance ? Par exemple, si la mère, en tant que Grand Autre originel, était elle-même un trou noir.
Le sujet naît dans un monde déjà préparé pour lui : chaotique, détruit, obscur. L’histoire de cet être peut-elle réellement être générée à travers son langage, ses actes, ses œuvres, et être comprise par l’Autre, ou bien produire du sens ?
Fondamentalement, j’aimerais que mon œuvre ait l’effet d’un scalpel, plutôt que d’un placebo. J’espère qu’elle pourra éveiller, ne serait-ce qu’un peu, un désir d’exploration de la vérité cachée derrière les représentations du monde, ainsi qu’un détachement face à ces derniers.
Merci d’avoir eu la patience de lire jusqu’ici. La face cachée de la lune a été illuminée une fois par ton regard.
in English:
All my artistic actions revolve around one ultimate question: What is the truth of the universe? This question finds its origins in my childhood. I was born into a Buddhist family, and every morning, I woke up to the sound of my grandmother reciting prayers. This primordial experience planted a seed in my life—not in a religious or doctrinal sense, but in the way Buddhism, as a system for deciphering the truth of the world, profoundly shaped me.
In my teenage years, I went through numerous upheavals: my mother’s repeated suicide attempts, my grandfather’s death, and radical life changes. It was also during this period that I discovered Western astrology and the Chinese Yi Jing. My curiosity about the pain of human existence and its mysteries became the driving force behind my creation.
My mother’s suicide attempts undoubtedly formed the archetype of the “black hole” in my artistic thought. As a non-native French speaker, when I saw the title of Blanchot's L'Arrêt de mort, I felt a strikingly similar sensation on the level of the signifier. After arriving in France, I encountered psychoanalysis, particularly post-Freudian and Lacanian thought, which deeply influenced me. My work appears to be shaped by extensive transdisciplinary research, yet in reality, it conceals an unspoken autobiography."Mom, why did you give birth to me? Why do I have to exist?" These questions, impossible to voice, transformed within my creative process into:"Why does the world exist? Is any of this real?" If you’ve made it this far and then look at my work, you will see ruins, floods, extinct species, tombs, mer(mère), impossible deaths, failures of knowledge… These traumatic symbols are an attempt to free myself from the abyss of my personal history. Yet I do not wish to speak directly about myself through my work.
Death gazes at me, forcing me to say something. But I realize that the most painful feelings cannot be expressed through words. Thus, art has naturally become my way of saving myself.
The only way to free myself from the trauma of the “black hole” gaze is to learn, meditate, create, and shift my focus from myself to the vastness of the world—to encompass all phenomena within it. I do not define myself as a mystic or an agnostic. On the contrary, I prefer to navigate between different fields. For instance, as a Buddhist, I find the parallels between the Diamond Sutra and quantum mechanics theory deeply fascinating—both illuminate my understanding on distinct levels. Cosmology, astrophysics, and archaeology fascinate me. The high-tech era in which we live allows me to integrate both natural and artificial elements into my work, generating a clash of possibilities while also revealing the impossibility of fully grasping the truth of the world. I do not seek to discredit the validity of scientific discourse, but I feel the need to expose the cracks that may exist within any discourse of power. Humanity abuses power, and when a field reaches an apparent state of completeness—when someone is elevated to the status of a “master”—it inevitably obscures all possibilities of touching the real.
As contemporary beings, measuring our existence on the scale of the Anthropocene, are we ready to acknowledge that even before the formation of human language, ancient tremors—undetectable by any modern technology—may have occurred? Their intensity and certainty rivaled the very processes that shaped the Earth, and yet, due to the absence of archives and their exclusion from history, they exist like black holes.
These events, which we call “myths”, are like a deep fissure in the sedimentary layers of History. But without reflecting on this rupture, in the face of the current ecological crisis, it is difficult to deny that we are heading toward an apocalyptic end, akin to the “deluge”—war, epidemic, artificial intelligence… The knowledge of the origin of the world is just as urgent as the language that describes its destruction.
Now, as an individual, as a “subject”, let us suppose that a psychotic subject becomes an artist or a criminal—all of their actions arise from a void of nomination. Can we then locate the agent of these actions within a collapse that had already occurred before their birth?
For instance, what if the mother, as the primordial Grand Other, was herself a black hole?
The subject is born into a world already prepared for them: chaotic, ruined, obscure. Can the history of this being truly be generated through their language, actions, works, and be understood by the Other, or even produce some form of meaning?
This is what I call a black hole of knowledge—or more precisely, a pair of neutron stars.
This black hole and I emerged (and collapsed) together in 1996, Zhejiang, China.
Fundamentally, I hope that my work has the effect of a scalpel rather than a placebo. I hope it can awaken, even slightly, a desire to explore the hidden truth behind the world’s representations, as well as a sense of detachment from them.
Thank you for having the patience to read this far.
The dark side of the moon has been illuminated once by your gaze.